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Le blog d'Olivia
23 février 2022

L'expansion de l'océan (nouvelle)

Le soleil tapait fort ce jour là. La mer était vaste devant Olena qui la contemplait. Les reflets étaient éblouissants et habillaient l'eau d'une parure de diamant. Le bleu de la mer était à la fois profond et rassurant, d'une obscurité dans laquelle on se plongerait volontiers. Les rochers respiraient le sel, leurs rugosités semblaient être séculaires, l'écume les abîmait un peu plus à chaque passage de l'eau, et se retirait lascivement, comme si elle invitait le voyeur à la suivre.
Le bruit quant à lui était assez difficile à décrire, comme un refrain. On pouvait facilement imaginer ce que charriait l'eau lorsqu'elle s'écrasait sur les récifs. Les galets, les coquillages, parfois quelques branches tombées à cause du vent ou car trop vieilles et fragiles. Le ressac de la mer emmenait tout cela dans son refrain, dans sa chanson qui berçait les âmes qui s'égaraient au bord de l'eau.
Olena essayait de deviner: combien d'enfants ont fait tombés leur jouet ou leur chaussure en se balançant depuis ce promontoire où elle avait l'impression de dominer le monde ? Combien de personnes s'étaient arrêtées pour contempler la beauté du paysage lointain ? Combien de parents prirent leurs enfants sur leurs épaules, par ces grands jours ensoleillés, en disant d'une voix douce « tu vois, tout au fond, c'est la Corse » ? Combien de personnes vinrent ici pour s'oublier ou pour oublier leur famille ? Combien de personnes vinrent ici pour mettre fin à leurs jours ?

« - Olena dépêche toi on s'en va ! »

La jeune fille descendit de son petit bout du monde pour rejoindre la voiture familiale, une vieille AX qui appartenait à sa grand mère.

« - Merde, y a plus de place dans la voiture, dit sa mère. Bon, Olena, sers toi contre ta soeur, et si y a des flics tu te baisses. Sinon on va encore prendre une amende. »

Coincée entre sa grand mère et sa soeur, Olena se fit la plus petite possible. Cette petite visite à Èze Village, puis Èze bord de mer s'était soldée par l'achat de quelque nourriture alléchante du terroir niçois, pissaladière, socca, sanguins au persil, boudins noirs, tripes en sauce et j'en passe. Du coup, trop de sacs dans la voiture.
Coincée entre sa grand mère qui la détestait pour lui rappeler sa propre fille, et sa soeur qui l'ignorait, car les deux soeurs ne s'entendaient pas, Olena se dit quand même qu'elle avait hâte de grandir.

« - Carole, arrête toi chez Bernard, je vais acheter des pâtes fraîches, dit la grand mère. »

Toujours de la bouffe, si c'est pas la preuve d'un sacré vide à combler.
Sa mère et sa tante, assises à l'avant, discutaient nourriture, jardinage, rectorat, comptabilité, loyers, dettes, la vie à Paris c'est pas facile, mais tu sais à Nice c'est pas vraiment mieux. Olena tourna la tête vers sa grand mère, mais ne reçut en retour qu'un regard glacial lui intimant l'ordre de se la fermer à moins d'avoir envie de se faire latter la gueule. Et foi d'Olena, personne n'avait envie de se faire latter la gueule par Mauricette Marie Beltrando. La petite tourna la tête vers sa soeur, absorbée par la vue extérieure. Bloquées dans un embouteillage sous le tunnel de la rue Barla, permettant de rejoindre la pénétrante, sa soeur préférait probablement se noyait dans le béton que dans l'atmosphère ambiante.
Olena soupira. Ce petit soupir qui signifie la résignation. Alors elle regarda devant elle.
Arrivées à La Vernéa, elles déposèrent la grand mère et le boudin noir et la pissaladière et les tripes et tu veux qu'on t'aide à ranger ou ça va aller. Les petites attendaient dans la voiture mais n'avaient rien à se dire.

« - Les filles, mettez ça entre vous, mamie nous a donné la couette d'Entrône et le reste des gnocchis à la daube. Et faites gaffe à rien renverser ! »

Olena et Lou se serrèrent contre les portes de la voiture, parties pour une demi heure de route avec les querelles incessantes de la mère et de la tante.
Une fois à la maison, leur mère prépara le dîner, l'une des filles mettait la table, l'autre la débarrassait puis après elles se partageraient la vaisselle. Et ensuite bonne nuit, si tu t'ennuies prends un bouquin.
Olena retînt ce conseil et choisit de lire Tintin. Elle aimait bien Tintin parce qu'il aidait les gens, il voyageait souvent et vivait de super trucs (elle se rappelait encore le passage derrière la cascade chez les Incas) et le capitaine Haddock lui rappelait son père titubant.
Le chien lui paraissait être un bon compagnon de route mais elle préférait déjà les chats. Elle aimait bien Tintin. C'était un bon gars.
En 2002, leur mère accepta d'acheter une télé et un magnétoscope récupéré chez Véro, sa copine moitié junkie moitié sdf.
Olena était rentrée un jour dans sa maison à Berre les Alpes, un petit taudis sur trois étages qui ressemblait à un énorme gourbi dans lequel tout un village aurait foutu ce que personne ne voulait garder.
Des étagères remplis de dés, de verres et différentes porcelaines, poupées d'argile, passoire, un bouquin par ci par là, des papiers et des factures, des boites de conserve décorées, des cannes en bois, une paire de lunette, du café, des bocaux, vides ou pleins de champignons, de mousse, de soupe, d'épices, d'autres bouquins, des bibelots en forme de grenouille, des cartes postales, des photos, des gri-gri, des médicaments, un pot de crème fraîche, des bougies, des cendriers, des journaux, des boîtes en bois, vides ou pleines d'herbe (Véro n'aimait pas le shit), des post it datés de 1998 ou 1999. Ça sur trois étages.
Lorsqu'Olena rentra pour la première fois dans cette maison qui avait l'air de tanguer, littéralement, elle eu l'impression que les étagères allaient toutes lui tomber dessus. Elle adora immédiatement la promiscuité du lieu et de chacun des objets encombrants, prêts à vous tomber dessus comme pour vous raconter son histoire. On aurait dit une grotte renfermant quelque trésor oublié, quelque secret très, très important. Olena aimait bien cette maison, elle s'y noyait volontiers.
Le temps que Véro roule son joint elle montait jusqu'au troisième étage pour regarder la vue. Une vallée s'étendait derrière, en friche car personne ne s'en occupait, avec un petit sentier qui longeait la colline pour amener à un rocher massif où Véro emmenait les filles quand elle devait les garder.

Le magnétoscope sous entendait qu'il fallait des cassettes. La cassette préférée d'Olena était Princesse Mononoké. Il venait tout juste de sortir et à huit ans, Olena n'en comprit pas tous les tenants et aboutissants. Mais elle adora l'époque, le Japon, pays qu'elle ne connaissait guère devint tout à coup un monde imaginaire peuplé par les loups géants qu'Olena admirait, cul sur le carrelage, tête en arrière à s'en faire un torticolis.
La nature personnifiée par ces créatures magiques, mi dieu mi démon devint pour elle l'incarnation d'une entité d'une puissance incroyable, aux pouvoirs surhumains, à l'origine de la création des Hommes et de leur Histoire, la mère de tous les êtres vivants, protectrice mais parfois sévère, incommensurable, imbattable, grandiose.
Olena aima tout de suite la princesse des loups qui avait une vie palpitante et surtout qui avait une raison de se battre. Elle protéger Mère Nature. Elle était importante.
Olena vit et revit ce film tant et si bien qu'en quelques jours elle connaissait toutes les répliques de tous les personnages. Dès qu'elle rentrait, elle lançait la cassette afin de retourner chez San. Mais cela ne dura qu'un temps.
L'appartement comptait deux chambres, et Olena ne voulait plus partager la sienne avec sa soeur, elle voulait avoir sa chambre, comme une grande. Sa mère accepta mais comme il n'y avait que deux chambres, elle serait placée dans le vestibule, à l'entrée de l'appartement et Lou aurait la deuxième chambre. Sur le coup, cela paressait équitable à Olena et puis c'est elle qui avait insisté.
Sa mère installa la télé dans sa chambre à elle, et on ne pouvait y accéder que lorsqu'elle l'autorisait. Une demi heure par soir et il fallait partager avec la soeur, et comme elles n'étaient jamais d'accord c'était la mère qui choisissait et toutes regardaient le 20h, tandis qu'Olena se disait que vraiment, elle avait hâte de grandir.

C'était une époque un peu spéciale pour chacune des trois: le père alcoolique venait de tomber au fond d'une falaise et personne ne savait: Était-il ivre ? Avait-il trébuché ? Avait-il sauté ? Cette dernière hypothèse, Olena n'y pensa qu'une quinzaine d'années plus tard, comme si son esprit avait refusé de l'évoquer jusque là. Quoi qu'il en soit, il était mort.
La mère portait les gamines à bout de bras et c'était pas facile tous les jours.
Lou et sa mère n'avait jamais eu une bonne relation. Elles n'avaient jamais pu s'entendre et Lou se retrouva du jour au lendemain obligée de vivre avec des personnes qu'elle ne connaissait pas. Elle aimait son père. Profondément. Et à son décès elle dut se résoudre à attendre dix longues années avant d'atteindre la majorité et de pouvoir se tirer de ce cloaque que l'on appelait vulgairement « la maison ».
Olena quant à elle, avait toujours autant hâte de grandir. Coincée entre sa mère qui n'avait pas le temps et sa soeur avec qui elle n'avait pas d'affinité, elle passait le temps comme elle pouvait: Tintin et la princesse des loups étaient sans aucun doute ses meilleurs amis.
Et les seuls également puisqu'Olena n'avait pas d'ami à l'école. Elle n'en avait jamais eu d'ailleurs et bien souvent elle en avait parlé à sa mère, lui expliquant que merde, elle était toujours seule et n'avait pas de copine. Mais entre le boulot, tenir la maison en ordre et s'occuper des gamines, la mère n'était pas disposée à écouter les lamentations d'une gamine de huit ans.

Parfois elles retournaient toutes les trois à St Jean, d'où Olena voyait la mer et son champ des possibles. Elle entendait vaguement sa soeur et sa mère discuter, mais elle n'écoutait jamais vraiment et puis, elle n'était pas franchement invitée dans la conversation: « c'est des trucs de grands Olena laisse nous ».
C'est pas grave, pensait Olena, moi je préfère les rêves. C'est vrai quoi, la vie est suffisamment pourrie pour qu'en plus on ait envie d'en parler.
Alors elle s'imaginait parfois pêcheuse de sardine, parfois princesse des eaux, souvent gamine perdue. Mais c'était des petits moments de détente car le lendemain bien souvent, il fallait retourner à l'école.
Cette merveille de l'éducation lui prenait le chou mais vraiment. Elle n'avait pas de copine et déjà tout le monde la trouvait bizarre alors bon, autant dire qu'elle n'était pas ravie d'être là-bas. Elle avait juste hâte de grandir.
Pourtant elle ne comptait plus les fois où tout plein de gens, famille ou illustres inconnus lui disaient « t'inquiète pas va ! Quand tu seras adulte tu regretteras ton enfance ».
Olena ne répondait pas mais n'en pensait pas moins: qui regretterait une époque où personne ne vous prend au sérieux, ne vous écoute, ne vous laisse faire vos choix et où tout le monde vous rabâche « tu verras quand tu seras plus grande » ?! Personne d'après elle.
Et aujourd'hui, à vingt six ans, elle était clairement de ce genre de personne qui préférerait crever la bouche ouverte sur le sol telle une sèche plutôt que de retourner en enfance. Bordel quelle angoisse qu'être un gosse.
Dans tous ses rêves, Olena était adulte et responsable d'elle-même et de ses choix, quitte à se planter mais au moins elle n'aurait plus rien à reprocher aux autres. Et quand elle était à St Jean lors de cette ballade hebdomadaire où elles faisaient toutes les trois le tour du Cap Ferrat, elle se rêvait déjà adulte, indépendante, libérée de cette angoisses montante de vivre en colocation avec sa famille, libérée des obligations dues à cette même famille, de ces regards gênants ou accusateurs, de ces questionnements sans réponse car « t'es trop jeune tu verras quand tu seras plus grande », libérée des échecs qui collaient à la peau de sa généalogie, libérée de l'ambiance mortifère qu'elle n'arrivait pas à nommer comme telle, puisqu'elle n'avait que huit ans et qu'elle ne savait pas ce que « mortifère » voulait dire.
Ce dimanche là sur le promontoire du Cap Ferrat, Olena entendit vaguement Lou et sa mère discuter, elle crut même qu'à un certain moment elles pleuraient, mais putain c'était déjà insupportable de vivre comme ça alors elle n'eut pas envie de s'immiscer dans la discussion surtout si c'est pour qu'on lui redise un « tu verras quand tu seras plus grande ».
Alors Olena s'imagina reine des océans, fille de Poséidon (elle avait déjà lu quelques trucs sur la mythologie grecque et avait retenu l'histoire de ce type super avec son trident), déchaînant vents et marées sur des navires pirates (qui n'existaient que dans ses rêves) et qui régnait sur l'étendue vaste et salée devant elle.
Elle se demanda si l'océan grossissait de jour en jour où s'il avait des limites bien définies, si un jour il recouvrirait toute la terre, si il continuerait de croître grâce aux rêves des idiots qui le fixaient avec un air béat.

« -Olena on rentre, t'as des devoirs pour demain, cria sa mère. »

Oui, Olena avait foutrement hâte de grandir.

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